Le développement sain
Tout enfant a le besoin légitime d’être vu, compris, pris au sérieux et respecté par sa mère.
Durant les premières semaines, les premiers mois de son existence, il lui faut pouvoir disposer d’elle,en faire usage, se refléter en elle.
La plus belle illustration de cette situation, nous la trouvons dans cette image de Winnicott : la mère regarde le bébé qu’elle tient dans ses bras, le bébé regarde le visage de sa mère et s’y retrouve lui même..à condition que le regard de la mère soit vraiment posé sur ce petit être unique, sans défense et non sur ce qu’elle forge pour lui : ses propres attentes, ses angoisses, ses rêves qu’elle projette sur l’enfant.
Dans ce dernier cas l’enfant trouve dans le visage de sa mère non sa propre image, mais la détresse de sa mère. Et lui, reste privé de miroir, et le cherchera vraiment tout au long de sa vie.
Si un enfant a la chance de grandir auprès d’une mère qui lui reflète, qu’elle est disponible, c’est à dire prête à la fonction dont dépend le développement de l’enfant, celui ci peut se forger un sentiment de soi sain.
Dans le cas optimal, cette mère lui offre, avec la compréhension de ses besoins, un climat affectif chaleureux. Cependant même s’il s’agit d’une femme pas très affectueuse, ce développement reste possible, du moment qu’elle n’y fait pas obstacle. En effet l’enfant peut alors se procurer auprès d’autres personnes ce dont sa mère est dépourvue. Diverses enquêtes montrent la prodigieuse capacité des enfants à mettre à profit la moindre miette de « nourriture » affective,la moindre stimulation apportée par l’entourage.
Par « sentiment de soi sain »,j’entends la totale certitude que les sentiments et les désirs éprouvés appartiennent à son propre Soi.
C’est dans cet accès spontané, tout naturel, à ses sentiments et à ses désirs personnels que l’être humain puise la force intérieure et son respect de lui même.
Il a le droit de vivre ses émotions, d’être triste, désespéré ou d’avoir besoin d’aide, sans trembler sans perturber quelqu’un.
Il a le droit d’avoir peur quand il se sent menacé, de se fâcher quand il ne peut satisfaire ses désirs. Il sait non seulement ce qu’il ne veut pas mais aussi ce qu’il veut, et se permet de l’exprimer.
Le trouble
Qu’arrive t-il-l lorsque la mère est incapable d’aider son enfant ?
Qu’arrive-t-il si non seulement elle est inapte à deviner les besoins de son enfant et à y répondre, mais encore se trouve elle-même inassouvie ?
Elle cherchera alors, inconsciemment, à satisfaire ses besoins auprès de son enfant;ce qui n’exclut pas l’instauration d’un lien affectif. Mais cette relation, ou l’enfant est exploité, manque de composantes vitales comme l’assurance qu’il peut compter sur sa mère, la continuité, la stabilité et surtout qu’elle ne lui offre pas un espace ou il pourrait vivre ses sentiments et ses sensations. Il développe alors quelque chose dont la mère a besoin et qui certes va, à cette période lui sauver la vie( l’amour de sa mère ou de son père) mais risquera de l’empêcher jusqu’à la fin de ses jours, d’être lui même.
En pareil cas les besoins de l’enfant, correspondants à son âge, ne peuvent être intégrés mais écarté ou refoulés.
Plus tard, cet individu vivra dans son passé. Sans le savoir.
La plupart des patients qui cherchaient mon aide parce qu’il souffrait de dépression avait une mère extrêmement insécure, souvent dépressive, et qui considérait l’enfant ( unique ou encore dans bien des cas l’aîné) comme sa propriété.
Ce que cette mère n’avait pas reçu dans son jeune âge de sa propre mère, elle peut à présent le trouver auprès de son enfant : il est à sa disposition, accepte de lui servir d’écho, de se laisser contrôler, est totalement centré sur elle, ne l’abandonne jamais, lui accorde attention et admiration.
Si elle se sent trop débordé par les besoins de son enfant, s’il lui en demande trop ( comme le faisait autrefois sa mère), elle n’est plus sans défense comme jadis, elle ne se laisse pas tyranniser, elle peut éduquer son enfant, de manière à ce qu’il ne crie pas et ne la dérange pas.
Grandiosité – dépression
Ce que l’on appelle dépression est qui est ressenti comme une impression de vide, d’absurdité de l ‘existence, de solitude et de peur de tomber dans la misère, n’a cessé de se révéler à moi comme la tragédie de la perte du Soi, de l’aliénation du soi, tragédie qui prends sa source dans l’enfance.
Dans la pratique, ce trouble présente toujours diverses combinaisons et nuances.
Par soucis de clarté, je vais tenter d’en décrire deux formes extrêmes : la grandiosité,et la dépression- et je considérerai l’une comme le revers de l’autre.
La dépression guette toujours ce qui sont atteints de grandiosité manifeste, et derrière l’humeur dépressive se cache souvent une prescience réprimée de notre profonde douleur causée par la perte du Soi, fruit de la négation de la réalité.
L’individu « grandiose » est admiré en tous lieux et il a besoin de cette admiration, il ne peut vivre sans elle : tout ce qu’il entreprend, il lui faut le réussir brillamment- et du reste, il en est capable( autrement il ne s’y lancerait pas).
Il s’admire lui même pour ses qualités:pour sa beauté, son intelligence, son talent, ses succès et ses performances.
Mais malheureusement si l’un de ses avantages vient à lui faire défaut : la catastrophe, sous forme d’une sévère dépression, est alors imminente.
Tout le monde trouve normal que des personnes malades ou âgées,qui ont subi beaucoup de pertes, ou encore par exemples des femmes en ménopause, deviennent dépressives. On oublie qu’il existe également des personnes capables de supporter la perte de leur beauté, de leur fortune, de leur jeunesse, ou celle d’un être cher, en éprouvant certes de l’affliction mais certes sans tomber dans la dépression.
Et inversement : il existe des gens comblés qui souffrent de graves dépressions. Pourquoi ?
Parce qu’on échappe à la dépression quand le sentiment de sa propre valeur s’enracine dans l’authenticité des sentiments que l’on éprouve, et non dans la possession de telle ou telles qualités.
L’effondrement du sentiment de sa propre valeur chez l’individu « grandiose » montre très nettement qu’en réalité il était suspendu en l’air « à un ballon de baudruche », qui par bon vent, est certes monté très haut, mais subitement s’est retrouvé perce et, à présent gît au sol comme un chiffon.
Cet individu n’a rien pu développer de sa propre personnalité, rien qui n’aurait pu plus tard, lui fournir un appui .
Car à côté de la fierté qu’inspire un enfant à ses parents se cache dangereusement proche, la honte, au cas ou il décevrait leurs attentes.
Le « grandiose » ne peut donc renoncer sans thérapie à la tragique illusion que l’admiration équivaut à de l’amour. Souvent une vie entière est consacrée à la poursuite de cet ersatz.
Tant que les véritables besoins anciens de l’enfant, ses besoins d’expressions, de respect, de compréhension, d’être pris au sérieux, ne peuvent être compris et vécus consciemment, la lutte pour ce symbole de l’amour le poursuivra .
Le « grandiose » n’est jamais réellement libre, car il est constamment dépendant de l’admiration des autres, et parce que cette admiration est liées à des qualités, des fonctions et des performances qui peuvent brutalement s’écrouler.
Il arrive qu’un individu réussisse, par une suite interrompue de performances hors du commun, à maintenir l’illusion de la constante affection et de la disponibilité de ses parents ( dont il nie l’absence, de même que ses propres réactions affectives).
La plupart du temps, cet individu sera capable d’éviter une dépression menaçante en se montrant plus brillant encore que l’ordinaire, ce qui va épater son entourage et lui même.
Mais il choisira souvent un conjoint qui manifeste déjà d’importantes tendances dépressives ou du moins qui va, dans le couple, assumer inconsciemment et mettre en œuvre la composante dépressive du « grandiose ». Ainsi la dépression sera projetée à l’extérieur.on s’occupe du « pauvre » conjoint, on le protège comme un enfant, on se sent fort et indispensable. De plus, l’on acquiert un piller supplémentaire pour soutenir l’édifice de sa propre personnalité, un édifice dépourvu de fondations solides et qui en est réduit à s’appuyer sur des piliers nommés succès ,performance, « force » et surtout le déni de ses propres sentiments d’enfant.
Bien que d’après ses manifestations extérieures, la dépression soit diamétralement opposé à la grandiosité, et que, d’une certaine façon, cet état d’humeur prenne davantage en compte la tragédie de la perte du soi, elles ont bien des traits communs.
On peut voir en la dépression comme un signe direct de la perte du Soi, à savoir le déni de ses propres sentiments et réactions affectives. Ce déni a commencé chez l’enfant, pour lui permettre de s’adapter, une nécessite vitale, car il avait peur de perdre l’amour de ses parents.
C’est pourquoi la dépression renvoie à une carence très ancienne
.Extrait du livre d ‘Alice Miller: Le drame de l’enfant doué